Avis négatif d'Indre Nature pour le projet de parc photovoltaïque à Dun-le-Poëlier
Voici l’avis rendu par Jacques Lucbert, président d’Indre Nature, au commissaire enquêteur lors de l’enquête publique concernant le projet de parc photovoltaïque au sol, au lieu-dit La Croix des palmes, sur la commune de Dun-le-Poëlier.
Un site classé au patrimoine naturel transformé en parc photovoltaïque sans concertation avec les acteurs concernés.
Le site sur lequel l’entreprise EDF renouvelables projette d’installer un parc photovoltaïque au sol est bien connu de notre association puisque c’est à notre initiative conjointement avec le Conservatoire botanique national du Bassin Parisien (CBNBP) que ce site a été classé en Zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (Znieff) en 2014 comme l’indique la fiche descriptive de cette ZNIEFF identifiée en tant que Pelouses et landes de la Croix des palmes – identifiant national 240031593 accessible sur le site de l’INPN – Muséum d’Histoire Naturelle. Nous tenons à rappeler que le classement en Znieff a été réalisé à l’issue d’une étude commandée par la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) nous demandant d’identifier des sites naturels remarquables en vue de leur classement en Znieff après avis du Conseil scientifique régional de la protection de la nature (CSRPN).
Ce projet épousant strictement les contours de cette ZNIEFF, nous sommes stupéfaits qu’aucun des acteurs impliqués dans ce classement n’ait été consulté préalablement au cours de l’instruction de ce projet. Le promoteur présente page 9 du résumé non technique (RNT) la liste des acteurs consultés. Nous y relevons la Chambre d’agriculture alors que ce site ne fait pas l’objet d’une activité agricole depuis des dizaines d’années, mais ni le CBNBP, ni notre association Indre Nature, responsables du classement en Znieff, ni le CSRPN n’ont été consultés. Cela révèle au minimum un manque de considération pour les acteurs impliqués dans la protection de la nature si ce n’est à l’égard de la protection de la nature elle-même.
Une question de cohérence des politiques publiques, une non prise en considération des zonages de protection des milieux naturels et une volonté de dissimulation.
La transformation d’une Znieff en parc photovoltaïque pose un problème de cohérence des politiques publiques. Il n’est pas cohérent que l’Etat cherche d’un côté à développer une stratégie des aires protégées dans laquelle le classement en Znieff est un premier niveau et accepte d’un autre côté la transformation de sites ainsi classés en parc photovoltaïques industriels. Certes, nous savons bien que le classement en Znieff n’est pas un classement de protection mais il est clairement une invitation adressée à tous les porteurs d’éventuels projets industriels à prendre en compte le caractère remarquable de ce milieu naturel et à l’éviter. C’est d’ailleurs à notre connaissance la première fois dans l’Indre qu’un projet industriel s’implante au sein même et strictement dans les limites d’une Znieff et donc artificialise intégralement une Znieff. Si ce projet venait à être accepté, il remettrait totalement en cause la stratégie de création de Znieff de l’Etat. Au-delà de l’avis que nous pouvons porter sur ce projet proprement dit, nous interpelons l’Etat sur la cohérence de son action publique si son administration devait donner son accord sur ce projet.
D’autant que la non prise en compte des zonages de protection de la nature par le porteur de projet ne se limite pas au seul zonage Znieff puisque que le site est également inclus dans la Zone protection spéciale (ZPS) Plateau de Chabris / La Chapelle-Montmartin FR 2410023 dont le dernier arrêté de classement au titre de la Directive européenne « Oiseaux » date de 2017, avec un objectif de protection des habitats d’un certain nombre d’espèces d’oiseaux menacées dont, entre autres, l’outarde canepetière et l’oedicnème criard. Ces espèces sont en grand danger d’extinction sur la zone et le territoire de l’Indre et l’Etat y porte actuellement un projet ambitieux de réintroduction d’individus de l’outarde canepetière. Cela aurait déjà dû inciter le promoteur à éviter de développer un projet industriel sur la ZPS et ce site en particulier.
Cette implantation sur des zonages de protection de la nature est surtout totalement contraire aux Lignes directrices nationales sur la séquence éviter, réduire et compenser les impacts sur les milieux naturels (1) rédigé par le Commissariat général au Développement durable sous l’égide du ministère de l’Ecologie et du développement durable, qui demande d’éviter les sites Natura 2000 et autres aires de protections fortes dont les ZPS font partie, mais aussi de rechercher toutes les alternatives à l’implantation de parcs photovoltaïques sur des sites à forts enjeux de conservation compte tenu de leurs fonctions écologiques comme les Znieff.
Le promoteur ne donne à aucun moment une justification à son implantation sur ce site naturel et sur le non-respect de ces zonages alors que les surfaces classées en Znieff dans la communauté de communes Chabris-Pays de Bazelle ne représentent que 81 hectares, soit 0,32 % de la surface de cette communauté de communes et que l’implantation de ce parc photovoltaïque va réduire leur surface de plus d’un quart. De plus, la référence à ces deux zonages est quasiment absente de la présentation du projet dans le RNT, document synthétique accessible à un public large et non averti. Le site y est présenté (page 7 du RNT) comme un « Un terrain en friche naturelle. Ce terrain n’est pas entretenu, aucune activité agricole n’est réalisée sur le site depuis plus de 30 ans. Il est occupé par une friche essentiellement constituée par une strate arbustive, et présentant quelques boisements en partie sud. On assiste à un abandon de l’entretien du site et une fermeture des buissons. » On chercherait en vain une référence à l’intérêt naturel du site et aux zonages de protection le concernant.
Dans la même page il est indiqué que ce site est « privilégié » car il bénéficie d’une « acceptabilité locale des élus, riverains et associations ». Quels riverains ont été consultés et de quelles associations est-il question puisque celles qui connaissent particulièrement le site n’ont pas été consultées ? Cette présentation est mensongère et surtout dissimulatrice de la réalité du site. Elle montre bien le désintérêt profond du promoteur pour le classement au patrimoine naturel du site et les critères purement utilitaristes qui apparaissent présenter un intérêt pour lui à savoir « l’abandon de l’entretien » ou « l’activité agricole ». Ce projet est loin d’avoir convaincu les membres de la Commission de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (Cdpenaf) qui ont été très partagés (6 voix pour, 4 contre et 5 abstentions), ce qui très éloigné du consensus.
Des enjeux de biodiversité toujours bien présents
Le classement en Znieff en 2014 du site des pelouses et landes de La Croix des palmes reposait sur la présence d’un habitat particulier et rare dans le département de pelouses siliceuses sur lequel quelques espèces spécifiques et rares étaient présentes à l’écart des populations de ces espèces présentes ailleurs dans le département. Concernant les plantes, avait été relevé la présence du Corynéphore blanchâtre Corynephorus canescens et au niveau de la faune, essentiellement celle de quelques espèces d’orthoptères rares : Decticelle côtière Platycleis affinis, Oedipode soufré Oedalus decorus, Gomphocère tacheté Myrmeleotettix maculatus et l’Ephippigère des vignes Ephippiger ephippiger.
Or, malgré ces dizaines d’années d’abandon et défaut d’entretien brandis par le promoteur, les espèces d’orthoptères sont toujours bien présentes (étude d’impact pages 119 à 132). D’autres espèces rares et à enjeux ont été trouvées comme le Trèfle aggloméré Trifolium glomeratus ainsi que d’autres espèces à enjeux comme le Bruant jaune Emberiza citrinella la Barbastelle Barbastella barbastellus qui constituent un patrimoine naturel rare et précieux. Nous ne pouvons que regretter l’absence d’entretien par le propriétaire révélateur du désintérêt malheureusement largement répandu à l’égard du patrimoine naturel à l’inverse de celui porté au patrimoine architectural créé par l’homme. Mais ce manque d’intérêt pour l’entretien du patrimoine naturel ne peut servir d’argument à sa destruction.
Les mesures d’évitement proposées par le promoteur sur le site visant à isoler des surfaces au sein du parc photovoltaïque sur lesquelles ne seraient pas implanté de panneaux sont totalement insuffisantes et illusoires. Insuffisantes car elles restreignent à des microhabitats confettis la possibilité de développement des espèces concernées en fonction de leur localisation trouvée lors de l’étude d’impact sans tenir compte des capacités de se déplacer de ces espèces. Illusoires car nous ne faisons malheureusement aucune confiance sur la non destruction de ces milieux que le promoteur déclare mettre en défens lors de la phase travaux. Par expérience nous constatons que ce genre d’engagement qui ne fait jamais l’objet de contrôle est rarement respecté.
Absence d’étude sur l’impact des travaux de raccordement
Le promoteur met en avant la « proximité » du poste source comme un des atouts du site tout en indiquant qu’il se situe à 17 kilomètres « à vol d’oiseau » (page 7 du RNT), ce qui est une des distances de raccordement la plus longue indiquée pour un projet photovoltaïque dans l’Indre. La distance réelle du trajet de raccordement sera bien évidemment largement supérieure à ces 17 km et les coûts
induits et les impacts environnementaux de ces travaux ne sont pas présentés dans le projet, ce qui constitue un manque important nécessitant au minimum une étude d’impact complémentaire.
En conclusion, nous estimons que le projet de création de ce parc photovoltaïque sur ce site doit être abandonné. Ne prenant pas en compte et ne respectant pas les zonages existant de protection de la biodiversité (ZPS et Znieff), il aura des conséquences néfastes définitives pour les habitats et espèces rares et protégées présentes sur le site avec un risque de destruction ou de disparition. Dans un contexte global d’effondrement de la biodiversité, nous considérons que l’objectif louable de développement de la production d’énergie renouvelable alternative à celle d’énergie fossile ne doit pas se faire au détriment de la préservation de la biodiversité. Nous tenons à rappeler que notre association de protection de la nature et de l’environnement a pour objectifs statutaires à la fois la lutte contre le réchauffement climatique ainsi que celle pour la préservation de la biodiversité. Nous nous positionnons favorablement pour le développement des ENR mais examinons chaque projet par rapport à l’impact sur la biodiversité.
Dans le cas de ce projet, nous estimons que le respect des zonages de protection existant est un impératif prioritaire et que l’objectif de production d’énergie décarbonée ne justifie pas dans ce cas de sacrifier les habitats et espèces menacées par le projet.
Nous émettons donc un avis très défavorable à ce projet dont nous demandons l’abandon pur et simple.
(1) Lignes directrices nationales sur la séquence éviter, réduire et compenser les impacts sur les milieux naturels, CGDD – Direction de l’eau et de la biodiversité, ministère de l’Ecologie, du développement durable et de l’énergie, 2013.