Indre Nature émet un avis défavorable aux éoliennes à Luant
En juin 2023, notre association s’était prononcée contre le projet du parc éolien Grand Communal sur la commune de Luant lors de l’enquête publique.
Indre Nature est une association de protection de la nature et de l’environnement qui a pour objectifs statutaires à la fois la préservation de la biodiversité et la lutte contre le changement climatique. Considérant que les énergies renouvelables font partie des solutions pour atténuer l’effet de serre responsable du réchauffement climatique, nous y sommes a priori favorables mais examinons chaque projet d’ENR pour évaluer son impact sur la biodiversité et sa compatibilité avec la préservation de la biodiversité. Nous avons donc étudié le projet de Parc éolien Grand Communal de Luant au regard de son impact sur la biodiversité ce qui nous conduit à formuler les remarques et l’avis suivants.
Nous avons analysé l’étude d’impact (pièce 4) et tout particulièrement des parties relatives à l’état initial et aux risque d’incidence sur le milieu naturel, ainsi que les annexes 5C (Etude d’expertise écologique de l’avifaune) et 5D (Etude d’expertise écologique chiroptères). Nos conclusions sont que l’effet du projet sur deux composantes de ce milieu que sont l’avifaune et les chiroptères ont été considérablement sous-estimées.
Enjeux liés à l’avifaune
Il nous semble d’abord important de souligner que l’étude d’impact a déjà vieilli puisqu’elle date de 2016 et que depuis la situation locale concernant notamment les oiseaux nicheurs a évolué. La situation initiale dont la synthèse pour l’avifaune est présentée page 213 n’est plus la même que celle décrite dans le rapport. Nous y reviendrons plus loin pour les oiseaux nicheurs.
Concernant les oiseaux migrateurs, les enjeux sont systématiquement minorés. Les enjeux sont considérés comme « faibles à modérés » page 213 pour l’état initial et pages 351-352 pour les risques d’incidence en exploitation, alors que notre propre expérience de suivis mortalité (voir suivi de la mortalité du parc éolien de Vouillon) nous apprend que les épisodes de mortalité les plus graves, car affectant des groupes importants d’oiseaux, notamment de passereaux, se produisent lors de vols de migration, notamment en automne, lorsque les conditions météorologiques sont défavorables au repérage des éoliennes par les oiseaux.
Par ailleurs, le site potentiel d’implantation et ses alentours sont utilisés comme halte migratoire, en particulier par les grues cendrées. Si celles-ci sont très rarement victimes de collisions avec les éoliennes lorsqu’elles sont en vol, elles sont par contre plus susceptibles de collisions lorsqu’elles descendent pour une halte migratoire. La présence des éoliennes risque aussi de les conduire à abandonner ce site de repos, ce qui va fragiliser les populations en les concentrant sur les sites restants accessibles et où la concurrence sera accentuée. Contrairement aux conclusions émises par le porteur de projet sur les risques d’incidence en phase d’exploitation page 352 nous estimons ces risques très forts.
Concernant les oiseaux nicheurs, la synthèse page 215 fait varier les enjeux de l’état initial et les risques d’incidence en phase d’exploitation pages 353 de « modéré » pour les passereaux à « fort » pour les rapaces et « très fort » pour certains oiseaux d’eau comme le Courlis cendré. Nous estimons que là aussi les enjeux sont sous-estimés pour les passereaux et les rapaces. Quel que soit le projet éolien soumis à notre analyse, les enjeux des passereaux nicheurs de plaine agricole comme l’alouette des champs, l’alouette lulu, les différents bruants, etc. sont toujours sous-estimés. Or, l’effet cumulé des restrictions d’habitat et de certaines pratiques agricoles délétères (pesticides notamment) conduit actuellement à un effondrement de ces populations d’oiseaux. L’enjeu pour ces oiseaux ne doit donc pas être regardé ponctuellement mais relativement à l’état général des populations de ces espèces. L’enjeu est donc à notre avis fort et non modéré.
Concernant les rapaces nicheurs, le rapport ne fait pas mention de la présence d’un nid de Balbuzard pêcheur à proximité du site qui effectivement n’était pas installé l’année où l’étude d’impact a été réalisée. Il en est de même concernant la présence d’un nid de Pygargue à queue blanche situé à quelques kilomètres de la Zone d’implantation potentielle (ZIP) et qui n’existait pas à l’époque de cette étude d’impact. Cette espèce parcourt de nombreux kilomètres pour se nourrir et a été régulièrement observée à proximité de la ZIP. Les sites de nidification de cette espèce sont très rares en France et si ce parc éolien devait se construire, ce serait la première fois que cela se réaliserait dans une aire de vie de cette espèce. Ce qui serait particulièrement surprenant au sein d’une zone classée Parc naturel régional. Depuis 2016, l’observation à plusieurs reprises d’individus de Cigogne Noire sur le site laisse suspecter l’existence d’un nid de cette espèce particulièrement rare et très protégée dans une propriété privée proche du site. Ces observations sont disponibles sur la base de données Obs’Indre et consultables aussi sur le SINP.
De ces remarques, il ressort que l’étude d’impact n’est plus à jour concernant des espèces nicheuses dont plusieurs sont nouvellement installées et doit impérativement être actualisée pour intégrer les nouveaux enjeux liés à la présence de ces espèces particulièrement sensibles à l’éolien.
Enfin, certaines espèces nicheuses comme le Courlis cendré, très rare dans l’Indre, le Vanneau huppé, dont les effectifs s’effondrent, et le Busard Saint-Martin représentent effectivement des enjeux très forts car les opportunités de trouver d’autres sites susceptibles d’accueillir la nidification de ces espèces se font de plus en plus rares. Le rapport concède un risque d’incidence « fort » pour le Courlis cendré limité à une éolienne (!), ce qui est très réducteur.
Enjeux concernant les chiroptères
Concernant ce groupe taxonomique, nous estimons également que les enjeux et risques sont fortement sous-estimés. Plusieurs espèces particulièrement sensibles aux éoliennes ont été contactées sur le site ou à proximité. C’est notamment le cas de la Noctule commune dont une colonie gîtant à Luant compte plusieurs centaines d’individus, ce qui lui confère une importance nationale. Nous l’avions déjà signalé lors de l’étude d’impact dans les termes repris dans l’annexe 5D page 23. D’autres espèces sensibles comme la Pipistrelle commune sont aussi présentes sur le site. Si le porteur de projet reconnait page 218 de la synthèse, la très forte sensibilité de ces espèces à l’éolien, il estime sur la base d’une appréciation totalement subjective du bureau d’études que les enjeux relativement au site sont « faibles à modérés », sauf, quand même, pour la Noctule commune, pour laquelle il reconnait que l’enjeu est « fort ».
Comme pour l’avifaune, l’évaluation des risques d’incidence en phase d’exploitation pour les chiroptères est sous-estimée, un risque « modéré à fort » étant seulement concédé page 355 pour la Noctule commune immédiatement relativisé cependant par une remarque sur « l’activité faible chaque nuit » détectée par les observateurs en charge de cette étude. Or, les effectifs de cette espèce sont en très forte diminution et prendre le risque de porter atteinte à une des plus importantes colonies à l’échelle nationale ne nous semble pas acceptable.
Des mesures ERC insuffisantes
Par rapport à ces enjeux et aux impacts potentiels que nous estimons particulièrement forts dans le cas de ce projet, les mesures d’évitement et de réduction présentées à partir de la page 422 de la synthèse, et détaillées dans les annexes 5C et 5D, ne sont pas suffisantes pour préserver la biodiversité présente sur ce site pour les deux groupes taxonomiques avifaune et chiroptères.
Pour l’avifaune la seule mesure d’évitement consiste dans le choix de l’implantation dont il est dit qu’il a « bien pris en compte » (annexe 5C page 184) l’orientation la plus favorable par rapport à l’axe migratoire. Or, nous avons pu constater que cela n’élimine jamais le risque de collision, surtout dans un site très fréquenté comme celui de ce projet. Quant aux mesures de réduction, la principale consiste en la mise à l’arrêt de deux seulement des éoliennes E1 et E2, car plus proches des zones de repos des oiseaux aquatiques à la tombée de la nuit et au lever du jour, ce qui nous semble effectivement positif mais aussi très insuffisant.
Pour les chiroptères, les mesures d’évitement que sont le choix du site et la réduction de la taille du parc révèlent surtout le niveau de contraintes auxquels le concepteur a été confronté mais qu’il n’a pu éliminer totalement. Le choix du modèle d’éolienne à garde haute est inévitable si on ne veut pas générer une hécatombe de chauves-souris mais cela ne réduit en rien les risques pour les espèces de haut vol qui sont principalement concernées par ce projet. La principale mesure de réduction concerne la réduction d’activité des éoliennes (bridage) en période d’activité principale des chiroptères et en fonction des conditions météorologiques (5D page 129). Nous estimons que c’est le minimum indispensable pour préserver les chiroptères par rapport au risque généré par les éoliennes et nous préconisons qu’elle soit appliquée pour tous les parcs éoliens quels qu’ils soient. Ce n’est donc pas une mesure réductrice du risque inhérent à ce projet en particulier et, dans ce cas, elle nous semble très insuffisante.
Dans un contexte global d’effondrement de la biodiversité, nous considérons que l’objectif louable de développement de la production d’énergie renouvelable alternative à celle d’énergie fossile ne doit pas se faire au détriment de la préservation de la biodiversité, et en particulier de l’avifaune et des chiroptères, présents sur ce site.
Nous émettons donc un avis défavorable à ce projet et en demandons le refus.
Jacques Lucbert, président d’Indre Nature